Télétravail et mobilités privées : des effets différenciés selon les types d’activités quotidiennes

L'expert

Une enquête inédite sur les perceptions de changement

Face à l’absence de données longitudinales récentes sur la mobilité post-pandémie, les auteures s’appuient sur une enquête par questionnaire en ligne menée au printemps 2022 auprès de 1 412 répondants, dont 815 salariés travaillant depuis leur domicile. Le questionnaire interrogeait les perceptions de changement de fréquence de huit types de déplacements privés (courses, rendez-vous personnels, loisirs, accompagnement d’enfants, visites à des proches, départs en week-end…) et de la mobilité de proximité. Les participants devaient indiquer si, depuis qu’ils télétravaillent, ils réalisent ces déplacements « beaucoup moins souvent » à « beaucoup plus souvent ».

 

Une baisse marquée des déplacements utilitaires

Parmi les répondants ayant perçu un changement dans leurs pratiques d’achats (en grande surface, supermarché, hypermarché ; dans des petits commerces de proximité [épicerie, boucherie, primeur...] ; au marché, dans une ferme ou en AMAP), la majorité évoque une baisse de fréquence. Ce constat s’observe indépendamment des caractéristiques sociodémographiques, mais varie selon le lieu de résidence : les habitants des centres-villes déclarent moins fréquenter les supermarchés, tandis que ceux des périphéries réduisent davantage leurs visites aux petits commerces. La baisse pourrait s’expliquer par le développement du e-commerce ou la réorganisation des tâches domestiques, bien que l’enquête ne permette pas de le confirmer.

 

Un regain d’activités personnelles et familiales

À l’inverse, les déplacements pour les activités de loisirs, sportives, culturelles ou associatives, les rendez-vous personnels (médecin, coiffeur...) ou pour l’accompagnement d’enfants (école, activités périscolaires...) sont en hausse pour de nombreux télétravailleurs. Cette augmentation est corrélée au nombre de jours télétravaillés par semaine, à la durée du trajet domicile-travail, et à des facteurs sociodémographiques : elle est plus marquée chez les moins de 45 ans, les parents de jeunes enfants, les femmes, ou encore dans les ménages sans enfants pour les loisirs.

Le télétravail favorise ainsi une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie privée, en particulier pour les parents et les femmes, déjà plus impliqués dans les mobilités d’accompagnement.

 

Des effets contrastés sur les liens sociaux et les week-ends

Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, les visites à la famille ou aux amis ne semblent pas avoir changé pour la majorité des répondants. Toutefois, ceux qui télétravaillent cinq jours ou plus par semaine mentionnent plus souvent une baisse. Cela pourrait refléter la disparition de certaines sociabilités professionnelles, comme les sorties après le travail.

Concernant les départs en week-end, aucune tendance nette ne se dégage, mais des effets générationnels apparaissent : les télétravailleurs de moins de 45 ans partent davantage, tandis que les plus âgés ont tendance à réduire leurs escapades.

 

Un ancrage territorial renforcé

Un des résultats les plus robustes concerne les déplacements de proximité : la majorité des répondants perçoivent une hausse des mobilités autour de leur domicile. Cette intensification locale est renforcée par la fréquence du télétravail, la durée initiale des trajets domicile-travail, et la présence d’équipements accessibles dans le quartier. Les parents de jeunes enfants et les moins de 45 ans sont particulièrement concernés.

Les résultats suggèrent un réinvestissement de l’espace local, facilité par la présence à domicile en semaine et par un meilleur accès aux services aux heures d’ouverture.

 

Vers une nouvelle géographie du quotidien ?

L’analyse des corrélations entre types de déplacements révèle des dynamiques complexes : substitution entre supermarchés et commerces de proximité, complémentarité entre déplacements pour rendez-vous, loisirs et accompagnement, tous associés à une hausse des mobilités locales. Le télétravail n’annule donc pas la mobilité, mais en modifie la forme et la géographie, en réorganisant les rythmes et les lieux de la vie quotidienne.

 

Implications pour les politiques publiques

Ces résultats invitent à repenser les politiques de transport et d’aménagement. Le développement du télétravail, s’il est accompagné d’une offre suffisante de services de proximité et d’infrastructures pour les modes actifs, peut renforcer les centralités locales et favoriser des mobilités plus soutenables. Mais il suppose aussi d’anticiper les effets rebond, différenciés selon les profils et les territoires.

 

Référence :

Aguiléra, A., Pigalle, E., & Belton-Chevallier, L. (2025). Exploring perceived changes in the frequency of private trips and local trips after telework adoption in France. Transportation Research Interdisciplinary Perspectives, 101478. https://doi.org/10.1016/j.trip.2025.101478

Date de parution : Octobre 2025