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Quel espace de travail minimum ?
Mars 2022
L'expert
Article paru dans le numéro 62 d'office et culture.
Quels que soient les sites, le constat est là. Passé les premières semaines d’effervescence, la fréquentation des environnements de travail stagne quand elle ne baisse pas. Le télétravail a le vent en poupe. Souvent, le niveau de présence ne retrouvera pas son niveau d’avant crise. Sur le terrain, il semble que les ressources humaines aient passé la main aux financiers.
Après avoir pansé les plaies et mis en place de nouvelles modalités de travail, il s’agit de concrétiser les investissements dans le futur. Avec partout la même question : jusqu’où est-il possible d’optimiser l’espace de travail ? Et comment ?
Signe de changement, l’optimisation des bâtiments tertiaires ne se mesure plus en mètres carrés par poste mais par inscrit. Les plus ambitieux visent jusqu’à 3,5 m² / inscrit. Contre intuitivement, la surface par poste tend elle à augmenter par la multiplication des lieux de collaboration et de sociabilisation. L’optimisation est favorisée par la « Smart Workplace » qui permet de mesurer en temps réel l’occupation des espaces puis de les transformer pour répondre le plus finement possible aux usages. Avec le travail à distance, la multiplicité des lieux de travail s’accroit. Cela a eu pour effet de rendre le partage de poste acceptable pour beaucoup et de faire baisser le taux de partage de référence de 0,8 à 0,6. Le partage de l’espace est plus accepté car il s’appuie sur l’absence du site et non à la mobilité au sein du site.
La limite de l’exercice d’optimisation est la gestion des pics et des creux de présences qui s’accentuent avec le travail à distance. Cette fluctuation questionne les exploitants. Certains se demandent s’ils ne feraient pas mieux de fermer leurs sites le vendredi. Ce à quoi les financiers répondent : « Et si nous n’étions pas tous absents en même temps ? ». Cet enjeu de lissage de la présence n’est pas totalement nouveau. Depuis quelques années le digital est convoqué pour fluidifier l’occupation des espaces de travail. En plus des fonctionnalités usuelles (suivi de l’occupation en temps réel, réservations de salles de réunion, guidage etc.), il est maintenant possible de s’inscrire (seul, en équipe, en projet) comme de savoir qui vient. Le seul hic est quand la limite est atteinte et que tous ne peuvent pas s’inscrire comme souhaité. Peu d’entreprises ont déjà déployé de tels environnements de travail. Celles qui y ont réfléchi arrivent vite à la conclusion qu’au-delà de l’outil une vraie politique managériale doit être mise en place.
Sur quelles bases la construire ? La première question est celle de l’optimisation de la venue au bureau. Quel serait le motif le plus important pour le collaborateur, le manager et l’organisation ? Ces trois familles de points de vue conduisent à des hiérarchisations différentes. Du point de vue du collaborateur, la venue devrait être libre, pour convenance personnelle au sens large du terme : ce jour-ci, je veux faire du télétravail malgré telle réunion importante car on me livre mon sèche-linge (vécu), ce jour-là je veux revenir car je vais pouvoir voir un collègue ami (vécu aussi), etc. Le manager quant à lui peine à regrouper son équipe. Il aimerait la réunir et dans bien des cas il se rend compte que la réunion hebdomadaire « comme avant » fonctionne de moins en moins bien. Enfin, l’organisation souffre d’un manque de cohésion, d’engagement, de vision d’ensemble ou encore de transversalité. De nombreuses entreprises tentent de soigner ce mal via des séminaires de « reconnection ». Dans ce délitement du collectif, même radio couloir en a pris un coup : « Avec le télétravail, il n’y a plus de ragots. Avant, on était plutôt créatif. Il y avait toujours quelques histoires croustillantes entre deux collègues. Maintenant, plus rien. On s’ennuierait presque ».
Face à ce constat, la littérature sur le management permet d’identifier trois bonnes raisons de venir au bureau :
- La première est d’aider les collaborateurs à faire de nouvelles rencontres et à étendre leur réseau professionnel au sein de l’entreprise. Cela permettra non seulement de donner des opportunités de développement à radio couloir mais aussi confortera la vision d’ensemble de l’entreprise par les collaborateurs.
- La seconde bonne raison de venir au bureau serait d’aider les collaborateurs à maintenir leur réseau professionnel. Cela donnera du fond aux ragots tout en facilitant la cohésion du groupe et les échanges entre pairs.
- La troisième bonne raison serait de créer et maintenir des relations de confiance au sein des groupes de travail. Non seulement on se confie plus facilement à ceux à qui l’on fait confiance mais cela permet aussi une meilleure communication et donc notamment de corriger rapidement des erreurs.
Ces trois bonnes raisons de venir au bureau peuvent nécessiter des mesures assez étonnantes du premier abord.
Comment faire pour aider les gens à faire de nouvelles rencontres ? Au-delà de leur faire faire des activités en commun, asseyez-les ensemble sur la même table de travail ; de nombreuses études montrent qu’il y a beaucoup plus de chance que deux inconnus se parlent s’ils sont directement assis à côté l’un de l’autre toute une journée, bien plus que s’ils se croisent à la machine à café ou font du yoga ensemble.
Jouer de cette probabilité d’interaction nécessite que, lorsque les équipes reviennent, elles ne s’assoient pas (ne s’enferment pas) ensemble. Tout au contraire. Répondre à la seconde bonne raison de venir peut se faire sans être tout aussi drastique. Il est par exemple possible de travailler le lien social par la stratégie d’espace en créant des centres de gravité. Ces centres de gravité sont des lieux qui attirent (machine à café, salle de réunion, etc.). Il convient donc de les placer justement dans l’espace afin de permettre à deux personnes qui se connaissent de se rencontrer.
Enfin, il convient de créer et de maintenir des relations de confiance au sein des groupes de travail. La colocalisation aide fortement à cela. Pour être réellement efficace, celle-ci doit être assez longue et continue. Ensuite, il convient de faire régulièrement des piqures de rappel afin d’entretenir le climat de confiance. Ces dernières devraient davantage se faire aux moments clefs des projets ou de l’organisation du travail.
Au-delà des outils digitaux et d’espaces adaptés, l’optimisation des environnements de travail est avant tout managériale. C’est la mise en place de « bonnes raisons de venue au bureau » devant répondre aux attentes et enjeux de chaque partie-prenante. Toutefois, s’il est théoriquement possible de réduire très fortement le nombre de mètres carré par occupant n’oublions pas que la dépense immobilière ne représente pour de nombreuses entreprises tertiaires qu’environ un dixième de leur investissement dans l’humain. A trop réduire les couts de surface sans optimisation du gain des venues, les économies de surface pourraient faire exploser d’autres coûts. De plus, l’optimisation peut conduire à des mesures contre-intuitives et parfois compliquées à expliquer.
Les entreprises sans bureaux ont bien compris l’intérêt de ces mesures. Elles investissent fortement sur leur culture et son maintien et y investissent de l’argent, du temps et des moyens.
Date de parution : Mars 2022