ProspeKtive

Réusage, vers une pensée de l'architecture par les ressources

Décembre 2025

L'expert

Dr Safa Ben Khedher

Dr Safa Ben Khedher

Architecte DE-HMONP
Docteure en Architecture et Ville

Fondatrice de REUSAGE

Membre du CA de l'association Raediviva

Quand on s’intéresse au réemploi dans le domaine de la construction, on constate qu’un grand nombre d’études et de travaux de recherche portent sur les filières : comment construire avec des matériaux de réemploi tels que le bois, l’acier, etc. En revanche, on trouve peu d’informations sur les pratiques, sur la mise en œuvre, sur l’adéquation ou non des procédures de projet actuelles avec les démarches de réemploi et de réutilisation. 

Dans un contexte d’accélération de la transition écologique, donnons des clés de compréhension des enjeux liés au réemploi et des éléments de réflexion sur notre capacité à nous adapter aux évolutions de pratiques et de projets.

Eléments de contexte

En France, le domaine du BTP consomme 460 millions de tonnes de matériaux et minéraux par an, soit 7 tonnes par habitant par an. Il génère par ailleurs 42 millions de tonnes de déchets par an, soit 4 fois La Tour Eiffel. Cette énorme quantité de déchets est principalement générée par la démolition, la construction et la réhabilitation avec 74 % de déchets liés au gros œuvre et 26 % au second œuvre, avec principalement des déchets inertes.

Depuis 2020, la loi AGEC (Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire) invite les acteurs de la construction à préserver les matériaux, produits et équipements, à réduire les déchets et à lutter contre le gaspillage. Un certain nombre de fonds pour le financement des démarches de réemploi et de réutilisation existe (État, ADEME, Région…).

Depuis le 1er janvier 2024, la loi AGEC oblige les maîtres d’ouvrage à établir un diagnostic PEMD (Produits, Équipements, Matériaux, Déchets) et préconise des solutions de réemploi, de réutilisation et de recyclage. Ce diagnostic concerne à la fois les travaux de démolition et de rénovation significatifs dès que la surface de plancher dépasse les 1 000 m2.

Actuellement, on observe une pénurie de matériaux de construction et une hausse du prix des matières premières. Face à cette situation, l’État met en place des mesures incitatives pour développer le réemploi :

- La valorisation des déchets revient désormais moins chère que leur élimination (- 10€ / tonne).
- La hausse de la TGAP (Taxe Générale sur les Activités Polluantes) de 18 € / tonne.
- La réduction de la TVA applicable sur la collecte séparée, tri et recyclage qui est passée de 10 % à 5,5 %.
- La TVA à 5,5 % sur la réparation.

 

Qu'est-ce que le réusage ?

La pratique de réusage ® Safa Ben Khedher, 2021

Là où la loi invite à un passage à l’acte de réemploi, les acteurs de la construction mettent en avant un besoin d’évolution des pratiques pour intégrer et développer le réemploi. Cette nuance nous permet de proposer un nouveau concept, « le réusage » et sa définition : « Toute opération permettant l’usage durable d’une ressource disponible ».

Dans ce concept, l’action de réemploi en elle-même n’est pas une question centrale. Ce qui est important c’est de s’inscrire dans un cadre plus global à l’intérieur duquel on va apprendre à raisonner le réemploi au cas par cas, en établissant des scénarios en fonction du projet et de ses spécificités. Avec ce nouveau paradigme, pour les produits, matières et matériaux concernés, l’idée est de passer du statut de « déchet », induit par la réglementation, à celui de « ressource », du concept de « réemploi » à celui de « réusage ».

Du point de vue opérationnel, le maître-mot c’est l’anticipation. Il faut envisager très tôt dans le projet le type de travaux, les ressources disponibles, les acteurs et compétences nécessaires, les manières de faire... Ce travail en amont pose en premier lieu la question de la rémunération des architectes. Aujourd’hui, ils sont rémunérés sur la base d’un pourcentage du montant des travaux. Cela ne prend pas en compte la valorisation d’une phase amont (réflexion, prototypage, expérimentation…).

Du point de vue économique,La pratique de « réusage » passe par un modèle économique adapté. Nous sommes sur une pratique émergente en phase d’expérimentation. Il est important d’y consacrer du temps et il est donc trop tôt pour envisager de gagner de l’argent grâce au réemploi. Cela étant, certaines pistes d’optimisation budgétaire sont d’ores et déjà identifiables. Des financements « recherche et développement » proposés notamment par les éco-organismes agréés par l’État peuvent permettre de financer les phases amont d’expérimentations évoquées plus haut (diagnostics PEMD, prototypages, outils d’évaluation, de traçabilité et de suivi des matériaux…).

 

Conclusion

Le « réusage » engendre une évolution du métier d’architecte par la nécessité d’intégrer de nouvelles compétences spécifiques : conseil, diagnostic, médiation… Or, à ce jour, l’architecte n’a pas les moyens de répondre à cette évolution de compétences pluridisciplinaires. C’est pour cette raison qu’il ne peut plus opérer seul pendant toute la phase d’étude. Soit il est valorisé pour ce qu’il fait et il peut dès lors intégrer ces nouvelles compétences requises. Soit il faut intégrer des acteurs compétents externes au process, une fois les missions identifiées.

Le « réusage » se dessine aujourd’hui comme un matériau d’architecture c’est-à-dire que les ressources existantes et disponibles sont considérées en premier lieu comme une donnée de base pour concevoir un projet.

Sa pratique nous invite à changer de regard, à évoluer culturellement afin de passer de la notion de déchet à la notion de ressource.

Exposition « Ceci n’est pas un déchet – [Re]garder les [re]ssources » ® CAUE du Var.*

Date de parution : Décembre 2025

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Docteur en Urbanisme et Aménagement de l'espace
Chercheuse associée au Laboratoire Ville Mobilité Transport de l'Université Gustave Eiffel et de l'Ecole des Points ParisTech