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Flex office, travail hybride et enjeux pour les managers

Juin 2023

L'expert

Expert - Anca Boboc

Anca Boboc

Chercheur, sociologue du travail et des organisations, dans le département des sciences sociales (SENSE) d’Orange Innovation

La question d’introduire le flex office en entreprise (absence de bureau attribué pour chaque individu) est revenue sur le devant de la scène du fait de l’augmentation du nombre de télétravailleurs, à la suite de la crise sanitaire du coronavirus, et de la baisse de la fréquence de la présence sur le lieu de travail qui en a découlée. 

Le flex office est apparu non seulement comme une source d’économies pour l’entreprise, mais aussi, souvent dans les discours, comme une organisation de travail innovante, au service de la transformation des modes de fonctionnement vers plus de transversalité et collaboration entre les salariés qui y sont installés.

Il convient néanmoins de rappeler que si l’espace de travail peut influer sur l’activité de ceux qui le partagent, il ne la détermine pas complétement. Les salariés ne vont donc pas spontanément et naturellement collaborer davantage simplement puisqu’ils partagent un même espace. La collaboration découle d’un ajustement de logiques professionnelles, qui passe aussi par l’interconnaissance, l’entraide et la construction de la confiance entre les acteurs. Cet ajustement a besoin d’être encadré par des objectifs et enjeux communs, aussi bien au sein d’une équipe qu’entre les membres des équipes différentes travaillant sur un même plateau. En ce sens, les managers de proximité ont leur rôle à jouer dans l’orchestration de ces discussions concernant la définition d’éventuels objectifs et activités en commun, aussi bien avec les autres managers et salariés du plateau partagé, qu’avec les membres de leur propre équipe. Par ailleurs, l’interdépendance entre les acteurs et les échanges multilatéraux que cette coopération suppose mettent du temps à se construire et ont besoin de se projeter dans la construction des actions à long terme. Ces régulations managériales sont également importantes non seulement pour définir, avec les équipes présentes sur le plateau, les manières de fonctionner dans ces espaces partagés, mais aussi pour s’assurer de l’application des règles ainsi co-construites.

Ces enjeux managériaux liés à la flexibilité de l’environnement de travail interfèrent avec deux autres induits par le développement du télétravail massif : le rééquilibrage entre présence et distance en fonction des contextes et la co-construction collective des usages, en lien étroit avec l’activité.

Ainsi, d’une part, si le présentiel permet des échanges spontanés, non médiés par les outils et enrichis aussi par la manière dont les corps s’expriment, la distance permet quant à elle d’introduire un « temps de latence », propice à la réflexion, à la prise de recul et la priorisation de certaines tâches. De ce point de vue, un des rôles des managers est aussi de sensibiliser les membres de leurs équipes au maintien des équilibres entre présence et distance, en fonction des contextes de travail, des interlocuteurs et des besoins de leur activité, afin de diminuer les risques d’affaiblissement des liens sociaux. Néanmoins, les enquêtes menées sur le terrain montrent que ces régulations collectives des espaces-temps restent difficiles à mettre en œuvre. En fonction des contextes, des profils des salariés et des liens établis au sein des collectifs, les plannings avec les jours de présence sur site sont, par exemple, plus ou moins remplis et tenus à jour. Les explications des interviewés à ce sujet (évoquant souvent la possibilité qu’ils donnent d’être « fliqué » en le faisant) rappellent que la visibilité de soi et de ses activités en entreprise est stratégique. Les jours de présence obligatoire sur site, que certains managers ont fixés, restent parfois le seul point sûr de rencontre en présentiel.

Par ailleurs, d’une manière plus générale, le télétravail, qui se construit dans le prolongement d’un travail en présentiel (et vice-versa) requiert une grande vigilance de la part des managers, en termes de reconnaissance (des télétravailleurs qui peuvent avoir le sentiment d’être oubliés ou inutiles), de maintien de la communication et de la cohésion (ne pas négliger ceux qui sont à distance), d’explicitation des nouvelles modalités de contrôle générées par ce travail à distance ou bien de régulation et d’arbitrage des éventuels conflits (en atténuant certaines réticences à retourner sur leur lieu de travail).

D’autre part, le télétravail plus massif a engendré une diffusion plus marquée des outils collaboratifs au sein des entreprises. Pour les managers, celle-ci renvoie à un enjeu portant sur la co-construction des usages de ces outils au sein de leurs équipes et entre les équipes. La sensibilisation des salariés à l’intérêt d’utiliser ces outils et la mise en place par les entreprises des dispositifs leur permettant de se familiariser avec les fonctionnalités des outils proposés (ateliers, tutoriels, webinaires…) représentent des conditions nécessaires, mais pas suffisantes. Les usages ne sont pas uniquement une affaire de communication et de maîtrise des outils. Ils sont bien le résultat des processus sociaux, qui se déroulent dans des contextes locaux, processus pendant lesquels les membres des collectifs de travail (plus ou moins éphémères, plus ou moins grands) ont besoin de s’accorder sur la valeur ajoutée de ces outils dans leur travail et de co-construire leurs règles d’usages par rapport à des activités qui sont aussi collectives. L’appropriation des outils numériques au sein des équipes dépend donc également de la capacité des managers à orchestrer localement des discussions collectives sur la valeur ajoutée de ces outils dans leur travail, sur les manières de les utiliser ensemble, sur la personnalisation de ces outils en lien avec l’activité de l’équipe, mais aussi sur les changements à opérer et à porter dans l’organisation de cette activité pour réussir l’ajustement entre activité et fonctionnalités des outils.


Références

  • Benedetto-Meyer, M., Boboc, A. (2021). Sociologie du numérique au travail, Ed. Armand Colin, Paris

Date de parution : Juin 2023

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Ecologue, professeur émérite du Muséum National d’Histoire Naturelle, membre de l’académie d’agriculture de France et du think tank « Groupe sur l’Urbanisme Écologique », dirigeant de la collection « Écologies urbaines » aux éditions Apogée