ProspeKtive

L’hybridation du travail face au parc tertiaire

Octobre 2021

L'expert

Marc Bertier

Marc Bertier

Expert Workplace Strategy

+33 1 82 97 02 02

mbertier@kardham.com

Dans les cas où le travail hybride est massivement déployé, le sujet de l’optimisation de l’espace de travail dépasse les problématiques usuelles de l’occupation des espaces. Passé un certain foisonnement (ou taux de partage), la mise en place de jauges s’avère nécessaire afin de garantir la sureté des occupants. La diversification des espaces requise par le travail hybride n’est pas compatible avec tous les immeubles. Le digital est un outil permettant de réguler les venues et fluidifier les usages.

Le développement du travail à distance créé une hybridation du travail, celle-ci étant issue de deux hybridations elles-mêmes intriquées. Celle du lieu du travail (travailler chez soi, dans un tiers lieu, dans l’entreprise, etc.) et celle des modes d’échanges (en physique, en digital, mixte ; synchrone et asynchrone). Ces nouveaux usages interrogent l’essence du bureau et renforcent son rôle de passeur. Passeur au sein des équipes, entre les équipes, de savoirs, etc. dans le but de créer de la valeur. Pour certains métiers, le fait de travailler à distance impacte l’organisation du travail : les tâches individuelles sont plutôt réalisées à distance, celles plus collaboratives en présentiel. Pour d’autres, l’hybridation ne change pas fondamentalement l’organisation du travail. Un profil dont le travail se caractérise par des activités de collaboration planifiées les fera soit au bureau, soit à distance, ou encore de façon hybride.

Une partie non négligeable du travail hybride se faisant hors les murs, la question de l’occupation de l’espace se pose de façon encore plus prégnant qu’avant la crise sanitaire. Est-il pertinent de doter chaque collaborateur d’un espace de travail individualisé s’il n’est présent que la moitié de la semaine ? Comment répondre aux besoins grandissant d’espaces de collaboration ? Les aménagements flexibles sont une réponse à ces deux enjeux. Dans leurs philosophies, la surface allouée aux postes de travail est réduite tandis que les espaces de collaboration sont augmentés. Depuis la crise sanitaire, de plus en plus de collaborateurs comprennent les intérêts de ce type de solutions, étant conscients que leurs modes de travail ont évolués. Dans le même temps, les directions immobilières, générales, financières et des ressources humaines s’intéressent à la mise en place de cette nouvelle équation du lieu de travail.

Le but est de rééquilibrer les espaces par rapport aux besoins en augmentant la part d’espaces collaboratifs et en diminuant les surfaces. Certains visent des rapports 70% des mètres carrés dédiés au collaboratifs / 30% à l’individuel ; tout en visant des optimisations de surface importantes (jusque 50%). Ces optimisations s’obtiennent en augmentant le nombre d’inscrits sur un même site ou en rendant des surfaces lorsque que cela est possible.

Toute une ingénierie est mise en place pour estimer le besoin du travailleur hybride. Combien de jours de télétravail sont autorisés ? Selon quelles modalités ? Quelles sont les intentions des collaborateurs ? Des managers ? Comment le télétravail sera-t-il organisé ? Quels sont les activités prévues sur site et hors site ? Ces éléments permettent d’établir des programmes d’espaces tenant en compte des spécificités de chaque entité. Les premiers retours d’expérience montrent une évolution dans la manière dont se conçoivent ces nouveaux environnements. Plus le travail se fait hors les murs, plus le dimensionnent de l’espace de travail se décorrèle du nombre de collaborateurs. Cela ne signifie pas que les besoins particuliers ne sont plus pris en compte. Cela signifie que, passé un certain seuil, le nombre de collaborateurs attachés à un site influe de moins en moins sur sa programmation.

Selon les modalités de mise en place du travail hybride, ce seuil se situe plus ou moins à 3 jours de télétravail par semaine. Passé ce seuil, les équipes tendent à dématérialiser totalement leurs tâches et processus. Ceux qui ont encore besoin de venir sur site organisent des permanences avec des roulements. Pour les métiers pour qui cela n’est pas possible, le seuil des trois jours est rarement franchi. La taille du site influe elle aussi sur la détermination de ce seuil. Ce n’est pas la même chose de rajouter 300 collaborateurs à un site de 3000 que 100 à un site de 300 ; les équilibres ne sont pas impactés de la même façon. En déployant le travail hybride de façon massive, la réflexion sur l’environnement de travail n’est plus de déterminer des modalités de flex office (nombre de postes de travail par collaborateur ou foisonnement) mais de créer des écosystèmes répondants aux besoins des collaborateurs sur site – ce qui conduit à la logique de répartition 70% de surfaces collaboratives ; 30% de surfaces individuelles. Dans cette logique, le poste de travail n’est plus une unité de travail donnant beaucoup de sens, il vaut mieux compter les positions de travail (les postes et l’ensembles de lieux alternatifs où il est possible de travailler).

Au-delà de toutes considérations sur la prise en compte des besoins de collaborateurs, le constat d’un dimensionnement se décorrélant du nombre d’inscrits provient aussi des contraintes induites par la conception même des bâtiments tertiaires. En effet, dès des foisonnements de 50 à 60 postes pour 100 personnes, les capacitaires sécurité (plus particulièrement incendie) des immeubles tendent à être dépassés. Autrement dit, il n’est réglementairement pas possible d’accueillir tout les inscrits en simultané sur le site.

 

Le tableau ci-dessous donne des points de repères sur les foisonnements maximums et surfaces par poste associés à partir desquels il est probable que la jauge soit dépassée. Deux cas de figures sont présentés : des immeubles dits « tendanciels », qui correspondent à la plupart des immeubles étudiés pour faire cette simulation et des immeubles « performants », qui sont souvent des réalisations récentes destinées à être commercialisées en multi preneurs et avec des surfaces divisibles relativement petites (inférieures à 1000 m²). Pour les premiers immeubles, le capacitaire sécurité est fréquemment dimensionné à environ 8m² par personne sur site. Pour les seconds, il est autour de 7m². Avant d’aller plus en avant, il est intéressant de noter les capacitaires sont surdimensionnés pour des aménagements en attribué ou en partage de poste tels qu’ils se faisaient pré-crise, jusque dans les scénarios les plus innovants (foisonnement proche de 65 : 100). A chaque foisonnement est indiqué une surface par poste. Plus le foisonnement est important, plus la surface par poste augmente : le nombre de postes de travail évolue inversement au nombre de positions collaboratives. Dans ces scénarios, la notion de poste de travail est une donnée d’entrée, ce qui compte c’est le nombre de collaborateurs associés. Ainsi, tous ces scénarios partent du principe d’un même nombre de collaborateurs sur site en simultané – ce nombre étant fixé par le capacitaire de sécurité.

A partir du moment où il est admis que la jauge ne sera pas dépassée, le dimensionnement du foisonnement dépendra de l’éco-système que l’on voudra créer pour les collaborateurs présents sur site et non plus directement du nombre de collaborateurs rattachés au site. Voudra-t-on leur proposer un environnement très collaboratif ? Il pourrait être tentant de dire oui, mais nos recherches ont montré qu’une bonne partie des profils qui reviendront au bureau dans le mode hybride seront sommes toutes relativement sédentaires. Dans ce cas, pour ces populations, le foisonnement à retenir serait plus faible (par exemple 60 : 100 contre 50 : 100 pour des profils plus nomades au sein de l’entreprise). Faire ce choix en conscience nécessite de connaitre l’ensemble des modes de travail et de faire des regroupements par similitudes.

Ainsi, afficher un foisonnement de 30 : 100 indique que seulement une partie des inscrits pourront se rendre sur site en simultané. Le foisonnement effectif pour les occupants à moment T cela lui supérieur, supérieur à 55 : 100 dans la majorité des cas. Les études de benchmark et de projection des usages permettent de faire des projections tendancielles pour déterminer les différentes positions de travail à implanter selon le foisonnement retenu. Il est communément admis que plus les postes sont partagés, plus il faut de positions alternatives. Le consultant anglais Neel Usher considère que, quel que soit le cas de figure, il faut prévoir 1,4 positions par personne : s’il y a un poste par collaborateur, il faut prévoir 0,4 positions en salles de réunions et en alternatives ; s’il y a 0,7 poste par collaborateur, c’est 0,7. Dans son guide son l’Activity Based Working, Juriann Van Meel donne des ratios légèrement différents mais reprenant la même logique.

Ainsi, avec des foisonnements de 40 : 100 (0,4 poste par collaborateur), il faudrait donc prévoir 1 position collaborative par inscrit ; ou 2,5 positions alternatives par poste de travail. Cette proposition peut faire sens pour des métiers très collaboratifs et aura ses limites pour des métiers sédentaires. Elle pose aussi de sérieux challenges techniques. Dans ce type de scénarios à 40 : 100 la surface qu’il faudrait allouer aux salles de réunion fermées dépasse fréquemment les 30% de la surface utile ; alors que dans la majorité des immeubles tertiaires la surface disponible pour les salles de réunion dépasse rarement les 15% (certains immeubles les plus récents permettent d’allouer 20% aux salles de réunion). Des solutions techniques comme la CVC à débit variable s’adaptant à l’occupation des espaces existent afin de compenser cette limite, mais elles ne peuvent pas être déployées sur tous les immeubles. Les bulles autonomes sont une autre solution de contournement. Enfin d’autres propositions, comme la mise en place de salles de réunions ouvertes ou semi-ouvertes, sont explorées. Dans ces derniers cas, un travail particulièrement fin devra être mené sur l’acoustique afin de garantir un bon confort d’usage.

 

 

Une fois que les taux de foisonnements idéaux sont établis (par inscrit et par utilisateur en simultané), que les typologies d’espaces souhaitées sont techniquement réalisables, il reste à établir l’acceptabilité de tels projets et permettre leur fonctionnement au quotidien. Ici, le digital est une solution ; certains tendent même à en faire LA solution. Les solutions digitales permettent en effet de gérer les venues et de faire en sorte que la jauge soit respectée, notamment via des systèmes d’inscription et de captation du nombre d’utilisateurs présents en temps réel. Elles facilitent aussi l’utilisation des espaces au quotidien, à condition que les données soient fiables et correctement exploitées. Les premiers retours d’expérience mettent d’ailleurs à mal l’idée que plus le foisonnement est important, plus les espaces devraient être réservés. Au contraire, plus les espaces sont diversifiés, plus leur gestion devrait être flexible. Enfin, les données collectées permettent de suivre l’usage des espaces tout en ajustant l’offre à la demande dans une logique d’amélioration continue. Le digital est donc une bonne solution pour l’exploitation des sites. Mais les applications, les capteurs et les données collectées ne résolvent pas le principal problème que posent ces environnements de travail où la venue libre n’est plus la norme : comment les collectifs font-ils s’accommoder de ces nouvelles façons de faire ?
Et d’ailleurs, d’un point de vue humain, ce type d’environnement de travail est-il souhaitable ?

Date de parution : Octobre 2021

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