ProspeKtive

Le pari exigeant et conditionnel d'un "bien-être performatif"

Octobre 2023

L'expert

Expert - Jean-Pierre Bouchez

Jean-Pierre Bouchez

Directeur de Recherche à l'Université Paris-Saclay
Président de Planet S@voir
Auteur, Conseiller et Conférencier international

Nous proposons ici de mobiliser la notion de « bien-être performatif » en matière d’espaces ouverts. De manière à bien saisir cette tentation légitime mais paradoxale à certains égards, il nous faut d’abord définir succinctement ces deux termes protéiformes que constituent le bien-être et la performance, afin de souligner leur compatibilité et leur dépendance au regard de travaux académiques. Mais il importe à notre sens d’aller au-delà en soulignant deux conditions complémentaires : la maturité organisationnelle et l’attractivité spatiale.

Une proximité bien établie par la recherche entre bien-être au travail et performance.

On considérera que le bien-être au travail se rapporte de manière combinée, d’une part à la qualité perçue des conditions de travail, au regard des caractéristiques physiques, et d’autre part à l’appréciation ressentie de l’environnement de travail sur la base d’éléments affectifs, sociaux, relationnels et cognitifs. De manière également ramassée la performance globale se réfère à une forme d’agrégation des performances financière, sociale et environnementale. Or, singulièrement depuis les années 2000, de nombreux travaux académiques, en majorité d’origine anglo-saxonne, font état d’une association positive bien établie entre ces deux variables, elles-mêmes très proches des notions de confiance et d’autonomie.

Des conditions nécessairement complémentaires associées au « bien-être performatif » : maturité organisationnelle et attractivité spatiale

La maturité organisationnelle exprime une volonté et une capacité réelle et effectivement assumée des dirigeants éclairés de faire évoluer significativement l’organisation du travail et de son environnement dans ses différentes composantes combinées, culturelles, managériales, technologiques, et organisationnelles. Cela en abaissant notamment autant que faire se peut, les niveaux de responsabilisation et donc d’initiative des managers et de leurs collaborateurs, et en accroissant les coopérations transversales et réticulaires, au-delà des simples discours incantatoires.

Concernant l’attractivité spatiale autour de l’Activity Based Working (ABW) et des espaces associés à des « villes en miniature », on retracera l’épisode le plus prometteur qui débouchera sur les formes spatiales contemporaines les plus innovantes. 

L’innovation prometteuse d’IBM.
Elle trouve son origine dans une expérience novatrice relativement confidentielle et particulièrement prometteuse conduite durant l’année 1970. Elle visait à évaluer l’impact d’un réaménagement radical des bureaux sur le comportement au travail, la communication et les performances d’une quinzaine d’ingénieurs produits en fréquent déplacement. Elle conçut à cet effet une nouvelle configuration spatiale qualifiée de « non territoriale », installée en lieu et place des anciens bureaux, se présentant sous la forme d’un espace de travail, sans bureau cloisonné donc, ni poste attribué de manière permanente, cet espace de travail étant précisément imaginé pour favoriser le partage des problèmes afin d’améliorer leur résolution. Les symboles extérieurs de pouvoir étaient dans cette configuration appelés à disparaitre. Le bilan apparait, du point de vue des usagers, assez largement positif en termes de confort et de satisfaction, notamment s’agissant de la facilité de communication et donc de coordination répartie de manière plus homogène et croissante. Pour autant cette expérience ne sera pas généralisée, tant au sein d’IBM qu’au-delà, notamment du fait de la lourdeur des équipements informatiques fixes de l’époque. Il n’en reste pas moins qu’elle demeure à notre sens particulièrement innovante et inspirera largement les espaces qualifiés de dynamiques, singulièrement à travers le concept d’Activity Based Working, notamment à partir des années 2010. 

Des espaces diversifiés fondés sur l’activité (Activity Based Working), assimilables à des « mini villes ».
Curieusement, ce concept issu de la littérature anglo-saxonne reste peu connu et mobilisé en France. Reposant sur des principes similaires au flex office (notamment la non attribution des postes de travail), il s’en distingue singulièrement par son enrichissement qualitatif et socio-collaboratif combiné. Le maitre mot est celui d’activité, au sens où les usagers utilisent au cours de la journée, les espaces diversifiés, dédiés précisément à leurs activités en fonction de leurs besoins. En d’autres termes, l’ABW repose sur le choix des personnes à décider de l’environnement dans lequel elles souhaitent travailler, celui qui leur convient le mieux en fonction de leurs différentes activités quotidiennes.

Ces configurations ne sont pas sans rappeler celles associées aux « mini-villes » développées dans les années 2000 par certaines firmes comme Rabobank (son centre, ses quartiers, sa banlieue, son lobby). Elles ont également pour point commun, au regard de notre propos, de favoriser le bien-être (confort physique, espaces diversifiés à taille humaine, possibilité d’une certaine territorialisation, etc.). L’ouverture prônée auprès des habitants du quartier pour certains usages (restauration, auditorium), apparait prometteuse.

Un pari potentiellement réaliste, mais relativement sélectif

Cette tentation ciblant la construction dynamique d’un « bien-être performatif » apparaît en définitive comme étant un pari et un enjeu stratégique pertinent, singulièrement dans une perspective post-covid. Pour autant, seules de (grandes) firmes éclairées et d’avant-garde sont amenées à déployer ce type de configuration, dont les bénéficiaires sont majoritairement des cols blancs qualifiés…

Date de parution : Octobre 2023

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Maître de conférences en sciences de gestion – Management des Ressources Humaines

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